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Chef constructeur


Bernard Toffoletti, chef constructeur dans le cinéma. 2021
Photo; Ulrich Lebeuf / Myop

« Vivre des aventures en équipe et passer le relais. »

BERNARD TOFFOLETTI, Chef constructeur

Le tournage du prochain film de Gérard Mordillat a été repoussé, Bernard Toffoletti peut se consacrer à la reconstitution de la réplique de la grotte sous-marine de Cosquer, aux parois ornées datant entre 27 000 et 19 000 ans avant notre ère, pour la Villa Méditerranée en face du Mucem à Marseille. Après avoir travaillé sur le fac-similé de la grotte Chauvet, il expérimente ainsi l’expérience de la longue durée. « La première fois que j’ai dû démonter un décor de cinéma et le détruire, cela m’a fait quelque chose. »

Bernard Toffoletti vient d’un monde où la garantie décennale n’existait pas. « Mon père avait une entreprise du bâtiment à Toulouse et, à l’époque, on construisait pour que cela dure bien au-delà de dix ans » sourit-il. C’est grâce au travail exercé dans la société de son père qu’il a appris à connaître tous les corps de métiers. Enfant, il ne se destinait pas au bâtiment mais au cinéma. « Je voulais devenir réalisateur, je voyais deux à trois films par semaine à l’Abc ou au Rex, à côté du lycée, des films essentiellement d’art et d’essai, c’était la grande époque du cinéma italien, puis allemand… »

Mais dans les années 1970, pour faire du cinéma il faut monter à Paris, à l’Idhec, et, pour un jeune Toulousain, cela coûte cher. Après une incursion en médecine, Bernard Toffoletti est rattrapé par l’histoire familiale. Suite à un accident du père, il reprend les rênes de l’entreprise qu’il lui rend deux ans plus tard. Et part sur son chemin à lui, passe de la maçonnerie à la charpente, de la menuiserie à l’ébénisterie jusqu’à croiser sur sa route des amis architectes et constructeurs qui viennent de créer une société de décors de théâtre et cinéma à Toulouse, Déco Diffusion. « Ils étaient en train de travailler pour le film d’André Téchiné, Ma saison préférée. Il fallait faire des décors en stratifié pour la chambre d’hôpital. Ils avaient besoin de quelqu’un qui maîtrise le matériau. »

En 1993, Bernard Toffoletti revient donc au cinéma par la porte du décor. De chef menuisier, il passe rapidement chef constructeur, avec sur les plus gros films plus d’une centaine de menuisier.e.s, serruriers, staffeur.se.s, peintres… à diriger. Si les techniques s’apprennent tout au long des années, la direction d’équipe demande un savoir être qu’on appelle communément le sens des responsabilités. Ce qui le « motive par dessus tout » c’est de vivre « l’aventure d’un film en équipe dans les meilleures conditions ». Pour cela, il faut être à même de créer une ambiance, de prendre sur soi, de savoir déléguer mais de ne jamais se décharger de cette responsabilité. « Autant j’aime le temps de préparation de construction des décors, ces heures passées sans compter, autant le moment du tournage où l’on peut attendre des heures avant de devoir modifier un décor en un quart d’heure est un rythme que j’apprécie peu… Alors généralement je délègue. Sauf s’il y a des risques à prendre, avec des effets spéciaux, des démolitions, là je suis là tout le temps. »

Car sa hantise, c’est l’accident. Humainement bien sûr, mais pénalement aussi. « Si un décor de cité médiévale arrimé aux murs d’une place de village s’effondre sur des figurants ou des passants, c’est le chef constructeur qui est responsable. » Alors tout est évidemment calculé, les résistances des matériaux, le calcul des charges… « Quand on n’est pas en mesure de le faire nous-mêmes, comme pour le mirador de la prison dans Mesrine, l’instinct de mort, on fait venir un bureau d’études. »

Après une trentaine de films, téléfilms et séries, mais aussi des décors de théâtre, de musées, Bernard Toffoletti garde la passion du travail d’équipe : « C’est devenu une seconde famille. Quand le tournage s’arrête, on se sent orphelins, alors on s’appelle, quelquefois plusieurs fois par jour ! » Et tient à transmettre le métier : « Je n’ai jamais gardé mes solutions techniques pour moi, ce qui me tient à cœur c’est de passer le relais. »

 

5 dates qui ont marqué le parcours de Bernard Toffoletti :

1954 : Naissance et enfance à Toulouse. Et choix fait de vivre au pays tout en travaillant souvent à Paris. Mais à Toulouse et dans la région aussi : « la multiplication des tournages en région est une bonne chose… On y aura mis le temps ! »
1992 : Rencontre avec la société toulousaine Déco Diffusion, créée en 1989, spécialisée dans la scénographie (conception et fabrication), réalisation de décors pour le cinéma, le théâtre, la télévision, la muséographie, l’événementiel, la mode, etc.
1992 : Premier travail sur un décor de cinéma pour Ma saison préférée d’André Téchiné.
2014 : Participation à la réalisation du fac-similé de la grotte Chauvet. Logistique et organisation de la construction et de la pose des panneaux.
2016 : Chargé de cours en Master 2 sur l’architecture de décors à l’Ecole Nationale Supérieure d’AudioVisuel de Toulouse (Ensav).


Films qui ont marqué le parcours de
Bernard Toffoletti :

L’enfer, de Claude Chabrol, tourné en 1993 à Saint-Ferréol et Revel en Haute-Garonne. « C’est la première fois que je participe à un décor de A à Z, dans une ambiance géniale et que je rencontre le chef décorateur Emile Ghigo avec qui j’ai fait par la suite une vingtaine de films. »
Laissez-Passer, de Bertrand Tavernier, 2002. « Comme il s’agissait de reconstruire des décors de films tournés pendant la seconde guerre mondiale, des rues de Paris et de Boulogne-Billancourt, qu’il y avait des explosions à gérer… cela a été un très gros boulot. D’ailleurs le budget décors représentait 1/3 du film. »
Mesrine, l’instinct de mort, de Jean-François Richet, 2009. « Une très bonne ambiance et puis… j’y ai joué dedans ! Je fabrique la pince en bois avec laquelle Mesrine va pouvoir couper le grillage et s’évader. »
Les vivants et les morts, de Gérard Mordillat, 2010, 8*52’. « Ce sont deux rencontres. Gérard Mordillat, que j’apprécie énormément à tous points de vue, et le chef décorateur Henri Labbé qui est devenu un ami. Quand j’ai lu le livre de Mordillat, je savais qu’il fallait que je fasse cette série ! »
L’empereur de Paris, de Jean-François Richet, 2018. « Un gros travail de décor, puisqu’il fallait reconstituer des rues de Paris sous Napoléon. Mais surtout c’est là que j’ai compris ce que le numérique permet, allait permettre et l’importance qu’il allait prendre à l’avenir. J’espère que cela ne sera pas au détriment du travail de construction… »