Cascadeur et régleur de cascades
« Le plus dur dans ce métier, ce n’est pas de commencer, c’est de durer. »
LAURENT MULOT, Cascadeur et régleur de cascades
La vidéo était devenue virale à Sète en juin 2020. Elle montrait une cascade du film Balle perdue. Une voix, en commentaire : « Ah ! Là, y a tonneau ! » Dans la voiture, Laurent Mulot.
Entre Fabrègues où il vit, à côté de Montpellier, et Martigues où sont ses studios et ses huit véhicules travelling, on a la chance de l’avoir à portée de voix et de fascination. C’est que le métier flirte avec la mort et seules une très grande rigueur et une maîtrise de soi-même, du véhicule, des éléments extérieurs protège. Mais le pire reste toujours possible. « Le plus dangereux ce sont les arbres. » Un arbre, ça tient bon, ça ne bouge pas. « Je doublais Roger Hanin à Marseille, j’ai heurté à 60 km/h, j’aurais dû être à 40. On a toujours la tentation d’aller un peu plus loin, un peu plus vite. Bon, ce jour-là, j’ai perdu connaissance… »
Laurent Mulot a 30 ans lorsqu’il s’embarque avec Jean-Claude Lagniez à Paris. Jean-Claude Lagniez c’est James Bond, doublant Roger Moore dans Dangereusement vôtre, celui qui a réglé, entre autres 1500 films, les cascades de Balle perdue, cité par le New York Times comme une référence en la matière. « Ce métier, c’est d’abord des rencontres. » En 2001 sur le tournage de Espion amateur avec Jackie Chan en Turquie, Laurent Mulot se lie à celui qui deviendra « comme un frère », Hervé Decalion. « Je l’ai rejoint à Marseille pendant quinze jours et l’ai harcelé pour qu’il m’apprenne à faire rouler une voiture sur deux roues. C’est grâce à lui que je suis venu m’installer en région. »
Après, c’est du travail, beaucoup de travail. Comme un musicien fait ses gammes, répète chaque jour, un cascadeur fait des tonneaux. A vide. Pour s’entraîner et apprendre à connaître les limites du corps. « Ce sont les organes internes qui chargent, qui bougent, qui encaissent les chocs à répétition, donc il faut aussi un bon ostéo », sourit-il. Dans la cascade, la souplesse, les mouvements de compensation du corps assurent la bonne exécution de la manœuvre. On peut s’attacher avec un harnais, porter un casque de pilote, avoir une minerve en mousse, bien sûr… Mais pas toujours. Tout dépend de ce que l’on doit exécuter et de ce qui se verra ou non à l’écran, de la stature de la personne que l’on double, de l’emplacement des caméras. Pour se protéger, on enlève dans l’habitacle tout ce qui peut être dangereux. « Mais dans l’action on ne pense pas à soi, juste à la scène, à la succession des gestes à accomplir, aux coups de volant spécifiques à donner. Un tonneau, par exemple, c’est subir le mouvement, donc on entraîne son corps pour cela. » Course à pied, à vélo, au soleil, au plus dur…
Puis il faut se concentrer pour les trente secondes que va durer la scène, apprendre à maîtriser son souffle. « Le plus difficile, finalement, c’est d’attendre. » Une ou deux heures dans le meilleur des cas, la journée entière quelquefois. Avec le réalisateur, le régleur, les régisseurs, il aura participé aux repérages, suggéré des changements. « On simule l’action avec des petites voitures, on expertise le terrain. On peut changer de décor si un haricot malvenu au milieu du carrefour peut nuire à la cascade. Il faut être une sorte de Mac Gyver, trouver des solutions. » On vérifie le freinage en premier lieu, puis les fondamentaux : les niveaux d’huile et d’eau, la direction, les pneus.
Laurent Mulot a attaqué tard dans le métier. Avant il était peintre-carrossier. Il est passé du côté « obscur », du côté des tôles qui se froissent. On tente de comprendre ce qui, dans ces métiers du risque, attire autant. Peut-être à cause de cette sensation qui ne ressemble à aucune autre : « A chaque fois c’est pareil. Cela ne passe pas avec l’expérience. Quand on a fini une cascade, ce n’est pas comme si on avait gagné au loto, mais c’est pas loin. C’est quelque chose d’unique. On est seul au monde. »
5 dates qui ont marqué le parcours de Laurent Mulot :
1967 : Naissance à Anthony (92).
1995 : Entrée dans le métier auprès de Jean-Claude Lagniez, fondateur de Ciné Cascades International.
2002 : Laurent Mulot poursuit son apprentissage avec Hervé Decalion, fondateur de Provence studios à Martigues où il a créé en 2016 une école de cascadeurs, décédé suite à une maladie en 2018.
2005 : Installation dans le Sud de la France.
2021 : Tournage des Vieux fourneaux 2 dans le Gers. Pas tant pour la réalisation des cascades (faire arriver un bus dans un champ ou assurer une chute dans un escalier) que pour le plaisir de la rencontre avec les acteurs Pierre Richard, Eddy Mitchell et Bernard Le Coq.
Films qui ont marqué le parcours de Laurent Mulot :
Gomez et Tavarès, de Gilles Paquet-Brenner, 2003. « Je tape un camion de face. C’est la première fois que je perds connaissance. »
Les Diables, de Christophe Ruggia, 2002. « Une autre première : je fais glisser sur plusieurs mètres une voiture sur le toit. »
Ronin, de John Frankenheimer, 1998. Laurent Mulot participe à des poursuites en voiture, à Nice et sur les quais de la Seine où deux voitures lancées à 120 km/h vont à contre-sens de toutes les autres.
Un prophète, de Jacques Audiard, 2009. « Là c’est un double pilotage. Dans la voiture, je suis côté droit, sur le siège passager, complètement baissé, j’ai le volant au niveau des genoux, sous le tableau de bord… »
Bac Nord, de Cédric Jimenez, 2020. « Encore un double pilotage. Je suis dans une cage construite au-dessus de la voiture, tandis que Gilles Lellouche, dans l’habitacle, fait semblant de conduire le véhicule. »